Interview – Flavien Stirnemann auteur de Sur l’île de LOST

Interview – Flavien Stirnemann auteur de Sur l’île de LOST

12 septembre 2024 Non Par VoxPopuli
Temps de lecture : 8 minutes

Découvrez notre interview de Flavien Stirnemann. Auteur de l’ouvrage Sur l’île de LOST. La foi en la narration paru le 12 septembre chez Third Editions Un ouvrage écrit par un passionné pour des passionnés de la série qui vingt ans plus tard n’a pas encore livré tout ses secrets…

 

Bonjour Flavien. Merci d’avoir accepté cette interview. Peux-tu dans un premier temps te présenter à nos lecteurs?

Merci à toi pour la proposition d’Interview ! Je m’appelle donc Flavien, j’ai 35 ans, je suis un vidéaste au parcours atypique, passionné de cinéma et de jeu vidéo. J’ai roulé ma bosse entre films d’entreprises, clips et court-métrages, à des niveaux plus ou moins professionnels. Et désormais, fier papa de ce premier livre chez Third Editions.

 

 

Comment est né ce projet et ta découverte de la série?

Ma découverte de la série date du pilote, à l’été 2004. Une version du premier épisode de LOST se baladait sur internet via les réseaux Peer to peer, bien avant la diffusion officielle sur ABC, et tous les forums cinéma du web redoublaient d’enthousiasme face à cet « épisode de télé qui ressemble à un film ». Mais mon histoire d’amour avec LOST n’a véritablement commencé qu’avec le premier épisode de la saison 2, Desmond, le Cygne, quand j’ai cru comprendre quel était le véritable projet narratif de la série. La passion n’a jamais baissé en pression depuis, il ne se passe pas un jour sans que je pense à l’ile, à Jack, à Hurley. Accessoirement je prie Jacob tous les 4 jours.

Obsédé par le sujet tout au long des six saisons, j’ai décidé en 2020 de faire une série de six vidéos qui tenteraient de donner ma vision de mon œuvre préférée. Ces vidéos ont amené à la rencontre avec Third Editions. L’envie était trop forte de développer toutes ces idées et d’enfin les coucher sur papier.

 

Lost est une œuvre aussi passionnante que complexe. As-tu rencontré des difficultés particulières lors de l’écriture du livre?

Des difficultés autres que le satané syndrome de l’imposteur qui donne l’impression d’enchaîner les erreurs ligne par ligne ? (rires). Oui, c’est une interview écrite, mais comme ça, les gens entendront mon (rire).

Le défi principal du livre était de ne pas tomber dans l’empilement exhaustif et didactique. Mon ambition était de délivrer une narration, spécifique, qui pourrait accompagner celle de la série, la détourner ou l’éclairer sous un jour nouveau. En gros, je voulais faire un livre sur LOST qui se suit comme LOST, avec des cliffhangers, des flashbacks, et une thématique claire et symbolique pour chaque chapitre. Une sorte de grand 8 sur papier. En sous-texte, mon désir profond était surtout de tracer le parallèle entre la production de la série et le parcours de Damon Lindelof, un scénariste dont l’œuvre me semble importante. Si j’ai réussi mon coup, le livre devrait créer l’empathie avec cet auteur bien trop jeune qui a du gérer un paquebot immense fonçant droit vers l’Iceberg. La difficulté était donc de trouver la bonne structure, et ne jamais lâcher ce fil rouge de la double narration, alternant les problématiques de production avec leur transformation en fiction particulièrement névrotique. Je voulais trouver le juste milieu entre la chronique télévisuelle et l’humain derrière tout ça, tout en injectant des questionnements personnels qui, j’espère, résonneront avec les lecteurs et feront retrouver cet état d’esprit que les spectateurs ont pu connaître pendant ces six années magiques.

 

 

Sur l’île de LOST. La foi en la narration (édition classique)

 

 

La série fête cette année son vingtième anniversaire. Quelle est l’origine de son succès selon toi?

Un mélange d’audace, d’opportunité et d’air du temps. Audace dans le sens ou la série n’a pas hésité à briser plusieurs règles tacites de la télévision publique américaine. Un épisode intégralement en coréen sous-titré, un casting international, un personnage principal qui est probablement le plus antipathique, ce genre de détails a singularisé la série dés ses premières minutes.
Opportunité parce que c’est comme souvent une histoire de planètes alignées. Le pilote de LOST n’aurait jamais du coûter aussi cher, Lloyd Braun n’aurait jamais obtenir le greenlight, et la tempête qui faisait rage à ABC à l’époque a permis au projet de passer relativement sous le radar. Enfin, LOST s’est inconsciemment connecté à l’air du temps. Début de nouveau millénaire, angoisses de fin du monde, explosion d’internet (et donc interactions internationales), une Amérique post-11 septembre (peur des avions, méfiance envers l’étranger), et de l’état moderne d’un monde dont les spiritualités se télescopent. La série a donc naturellement dépassé le public auquel elle se destinait à l’origine. Elle a réuni la ménagère, le geek, l’adolescent de 15-16 ans, voire la famille entière ! LOST est née d’un agrégat de facteurs qui font qu’elle n’aurait pu exister ni avant, ni après. Aux spectateurs de choisir si il décide de confondre coïncidence et destin 😉

 

De nombreuses personnes aimeraient que la série ait une suite. Une idée qui pourrait voir le jour?

 

Disons que Damon Lindelof et Carlton Cuse ont fait en sorte de donner une conclusion pour le moins… définitive à l’histoire qui s’est jouée sur l’île. Sans spoiler, évidemment, il semble improbable qu’une série arrive à étendre la narration proposée sans dénaturer le message et le projet narratif global. Je ne pense pas qu’une suite à LOST puisse exister un jour. Et je le désire encore moins. L’industrie étant ce qu’elle est, nous ne sommes néanmoins par à l’abri d’un reboot en bonne et due forme, rejouant la partition de manière « moderne » d’ici une dizaine d’années. Le choix le plus raisonnable serait peut-être de tenter le spin-off, pour approfondir des zones d’ombres ou se concentrer sur des époques spécifiques sur l’île. Mais l’existence même d’un tel projet lèverait le voile sur un aspect à mon sens primordial de LOST : Le fait de laisser le spectateur tisser les liens lui-même. Ce qui n’est pas montré est aussi important que ce qui l’est. Je n’ai par exemple pas spécialement envie de connaître la signification profonde du nombre 23, ou de quelle matière est faite la fumée.

 

Quelles sont les séries qui selon toi sont les héritières de Lost?

Beaucoup de séries se sont réclamées de LOST, que ce soit pendant sa diffusion événementielle ou dans le sillage de sa fin. Beaucoup se sont cassées les dents. Par politesse, je ne citerais pas les titres de Surface, Flashforward ou The Event. Mince, je les ai citées….

Plus sérieusement, l’industrie a tenté de reprendre ce qui ne faisait que la surface de LOST : Son rapport aux mystères et à l’addiction provoquée par l’inconnu. En reprenant superficiellement ces codes, ces échecs télévisuels passent à côté de ce qui a rendu la série éternelle : Ses personnages et l’émotion qu’ils provoquent en nous.
A titre personnel, il n’y a que deux séries qui ont réussi à retranscrire ces différents aspects dans une œuvre solide. La première est The OA, dans laquelle j’ai retrouvé ce mélange de high-concept sf, a deux doigts de la fantasy assumée, dont les caractéristiques alambiquées ne sont qu’une rampe de lancement à de l’émotion pure. Transfigurer un concept scénaristique en une émotion ressentie par un personnage, ce n’est pas rien. La série de Brit Marling et Zal Batmanglij (Il existe donc un réalisateur avec « Batman » dans le nom, c’est notable) n’a fait que monter en puissance dans la confiance qu’elle avait en son récit, jusqu’à son annulation cruelle.
De l’autre côté du prisme, la seule série ayant réussi à gratter cette démangeaison de mythologie fiévreuse est la regrettée Raised by wolves. Si les deux saisons sont beaucoup plus froides humainement que les aventures du vol 815, la manière dont les deux œuvres dévoilaient par petite touche un lore qui semblait gigantesque et aux ramifications existentielles m’a tout de suite sauté aux yeux. Helas, Raised by wolves n’a pu aller au bout de son histoire, restant éternellement obsédante.

Mention spéciale à la récente série From, qui compense sa bêtise inhérente et son rythme arthritique par une mythologie fascinante, terrifiante et dont les contours rappellent énormément Stephen King, et donc LOST. Impossible de répondre à cette question sans, enfin, citer L’attaque des titans, qui reprend parfois clairement les mécaniques de l’île, en partage plusieurs twists, avec une sensibilité toute japonaise (les nippons n’étant pas les derniers pour les mythologies complexes et les retournements de situation improbables).

 

Slur l’île de LOST. La foi en la narration édition first-print)

 

En 2008, la série a été adaptée en jeu vidéo. Réussite ou échec?

Le jeu est sorti à l’époque ou Ubisoft n’avait pas encore mis en place le developpement industriel de jeux aux mecaniques similaires (difficile de faire la différence ente Watch Dogs, Far Cry et Assassin’s Creed, en se concentrant sur le game design pur), donc LOST : Via Domus a au moins l’avantage de la singularité. C’est un jeu prototypal, étrange, ni vraiment un point&click, ni vraiment un jeu d’aventure narratif moderne. Il tente de retrouver l’atmosphère de la série, mais en y proposant des versions altérées et franchement limitées des personnages que l’on adore. Le lore est hésitant, son statut semi-canon recelant autant de détails croustillants que de sorties de routes à deux doigts de contredire ce qu’on voyait à l’écran toutes les semaines. Enfin, il est sorti bien trop tard, au moment ou la hype mondiale de la série déclinait après le semi-échec de la saison 3, et ne correspondant qu’à une niche de niche (il faut être à la fois fan de lost, et amateur de jeu vidéo. Difficile de rassembler avec ces critères, en 2008, au moment ou la série est quasiment à sa pire période en terme de réputation) Ca, c’était la réponse pour s’adresser au grand public. En revanche, si je dois m’adresser à tous les fans de LOST n’ayant jamais touché à Via Domus : Foncez. Tout fan doit y jouer pour se balader dans le Cygne au moins une fois. Et impossible de se dire « candidat » si on a pas rejoint Locke au chaud, planqué dans les banians. Je trouve personnellement le jeu médiocre, mais en sa qualité d’ovni il hérite d’un charme qui fait défaut à bien des jeux à licences de nos jours. Assez de charme pour avoir envie de régulièrement le relancer. Et assez médiocre pour éteindre la console après deux heures de jeu, coincé dans une boucle de game over contre une fumée noire au comportement incohérent et une maniabilité infernale. Cela dit, deux heures, c’est pas mal, ce sont les deux tiers du jeu complet ^^.

 

As-tu d’autres projets pour la suite?

Je suis actuellement entrain de terminer une série d’animation qui sera disponible sur youtube. Le titre est IRREEL. C’est un récit épique d’aventure comique fait sous Unreal Engine 5. J’y ai passé plus de deux ans, un travail quasiment quotidien, et j’espère que le résultat sera à la hauteur de ses ambitions. Ne clignez pas des yeux devant IRREEL, vous risqueriez de manquer l’une des références à LOST que j’ai eu la chance d’y glisser. Ca devrait être prêt pour Noël, et ce sera disponible sur la chaine PadawamHD.

 

Quels conseils donnerais- tu à quelqu’un qui souhaiterait découvrir la série en 2024?

Premier conseil, incontournable : Bien préciser à la personne que non, les personnages ne sont pas tous morts dans le crash. Ils ne sont pas au purgatoire. L’héritage de la série est tel que la majorité des personnes que j’ai pu croiser dans ma vie n’ayant pas vu LOST en connaissent pourtant sa « fin », ou du moins la rumeur qu’elle aura laissé dans la culture populaire. Une fois cet impondérable mis de coté, j’essaie d’attaquer la personne aux sentiments. Je lui dis que, personnellement, je ne suis pas plus que ça amateur de séries, étant plutôt passionné par le cinéma. Pourtant, LOST est probablement mon œuvre favorite, tout support confondu. Et nous sommes des millions dans ce cas. Obsédés, bouleversés, s’étant approprié ces six saisons comme une histoire spécialement faite pour nous. Accessoirement, c’est peut-être le récit d’aventure idéal, tirant parti de chaque spécificité du medium télévisuel. Si quelqu’un a pour œuvres préférées les Star wars originaux, Twin Peaks, Stephen King ou Rencontre du troisième type, il devrait trouver dans LOST une œuvre ultime.

 

LE MOT DE LA FIN ?

 

Si jamais la série vous échappe, qu’il vous manque des clés, ou que tout simplement l’île vous manque, n’hésitez pas à jeter un œil au livre. Et au livre du collègue Thomas Suinot, qui s’annonce comme l’outil idéal pour Tout savoir sur LOST ! Et si, par malheur, votre soif de réponses n’est pas étanchée, sachez que LA réponse est quoiqu’il se passe 42. Les lecteurs les plus assidus auront remarqué que j’ai réussi à caser la suite de nombres tout au long de l’interview. C’est pour honorer l’esprit LOST, la meilleure série du monde. Mon dieu, ce qu’elle porte bien ses vingt ans !

 

Un immense merci à Flavien Stirnemann pour cet échange passionnant. Si vous souhaitez poursuivre l’aventure, « Sur l’île de LOST. La foi en la narration » est disponible dès aujourd’hui sur le site de Third Editions en version classique, numérique et first-print.